
L’une des sessions du Festival de l’info locale 2025 à Nantes.
L’une des sessions du Festival de l’info locale 2025 à Nantes.
Fin septembre, des journalistes se sont réunis à Nantes pour la 7ᵉ édition du Festival de l’info locale, un événement annuel consacré à l’avenir de la presse locale. Le programme de cette année abordait la couverture des élections municipales, les usages concrets de l’intelligence artificielle, des idées pour renforcer le lien direct avec les lecteurs, et des modèles économiques durables pour les rédactions locales. Voici cinq idées qui nous ont inspirés:
Mediacités, un média d’investigation local présent dans plusieurs villes françaises, a expliqué comment il adopte une approche à long terme de la couverture électorale avec son projet Radar. Lancée en 2020, juste après les élections municipales, cette enquête suit de manière continue les promesses de campagne tout au long du mandat de six ans des élus locaux.
“On a pris les programmes des candidats et repéré toutes les promesses, et on a construit un site autour de ça, avec une fiche pour chacune de ces promesses. Pendant les 6 années qui ont suivi jusqu'à aujourd'hui, on a suivi chacune de ces promesses et fait le bilan”, explique Benjamin Peyrel, rédacteur en chef de Mediacités.
À Toulouse, par exemple, l’équipe a recensé 299 promesses faites par le maire lors des élections de 2020 : Selon Mediacités, 34 ont été tenues (comme l’augmentation de la fréquence du métro pendant les vacances d’été), 32 ont été abandonnées (comme la piétonnisation du pont Saint‐Pierre), et le reste est encore en cours de réalisation.
Chaque évaluation s’accompagne d’une analyse apportant le contexte, les sources et des liens vers d’autres enquêtes liées au sujet.
En plus de fournir aux citoyens une information claire sur la gestion de leur ville, Radar limite aussi les effets de communication politique.
“Par exemple, si à Nantes la mairie dit que 94 % de ses engagements ont été tenus, d’après nos vérifications, on est plutôt autour de 68 %. On voit qu’on n’a pas tout à fait la même appréciation que la mairie”, précise Peyrel.
L’équipe a également choisi de rendre Radar accessible gratuitement, en dehors du site principal soumis à abonnement. “On considère que c’est un enjeu de citoyenneté et un enjeu démocratique, donc c’est un espace gratuit”, explique-t-il.
Le projet est toujours en cours : les journalistes continuent d’actualiser leurs analyses au fil du mandat, ce qui permet de suivre la gouvernance locale en temps réel tout en constituant une base solide pour le prochain cycle électoral.
“C’est pour ça qu’on avait commencé dès 2020. C’est plus facile de faire ce travail-là au fur et à mesure que de se réveiller le 15 septembre 2026 en se disant : “Tiens, si on faisait le bilan de la municipalité ?” On a déjà cinq ans et demi de travail d’avance”, souligne-t-il.
Le quotidien L’Avenir, qui couvre plusieurs régions de Belgique, a lui aussi choisi une approche à long terme pour traiter les élections locales, en misant sur des rencontres directes et approfondies avec les électeurs.
Dans l’année précédant les élections de 2024, l’équipe a aménagé une caravane, installée successivement dans douze centres-villes sur douze mois. À chaque étape, les journalistes ont échangé en face à face avec les habitants sur les grands enjeux du scrutin à venir.
L’initiative, baptisée “ L’Avenir, c’est votre voix ”, s’articulait autour de douze thèmes, de l’accès à la garde d’enfants aux transports, en passant par la sécurité publique.
“On a voulu aborder des sujets qui parlent directement au quotidien des gens, sans tomber dans les clichés ”, explique Frédéric Wéry, journaliste à L’Avenir.
“L’idée, c’était d’aller à la rencontre des habitants au cœur des villes, de dépasser le simple “ je parle à mes lecteurs, je parle à mes internautes ”. On voulait aussi rencontrer des gens qui sont peut-être sur de l’évitement de l’info”, ajoute-t-il.
Le but n’était pas de récolter des réactions rapides, mais d’avoir de vraies conversations, longues et sincères. “ Ce n'était pas un micro-trottoir où on va prendre 4, 5 informations et puis passer au suivant. Ce n'était pas la course, on cherchait des témoignages le plus complets ”, précise Wéry.
“Chaque thème a donné lieu à un dossier de plusieurs pages, avec un grand témoin qui était une personne avec qui on avait passé une ou deux heures en interview. Avec ça, il y avait une analyse, un édito et d’autres témoignages qui venaient compléter le dossier et apporter d'autres points de vue sur la thématique.”
Le projet a nécessité une préparation et des moyens importants. “C’était une grosse opération”, reconnaît Wéry. “Et je vous dis en toute franchise, les gens ne se bousculaient pas non plus pour venir. Il y avait une démarche d'aller vers les gens.”
Le résultat était une couverture électorale plus nuancée, nourrie de conversations réelles avec les citoyens plutôt que de commentaires en ligne. Une démarche précieuse, selon Wéry, pour mieux saisir les préoccupations du terrain.
Les intervenants ont aussi abordé la question des modèles de revenus. Lors d’un panel consacré à la monétisation à l’ère de l’intelligence artificielle, Ronan Leclerc, directeur de la division médias du quotidien régional Le Télégramme, a plaidé pour que les médias locaux défendent davantage la valeur de leur publicité auprès des entreprises de leur territoire.
“On n'a pas les moyens marketing de ces grandes plateformes numériques, explique-t-il. “Pourtant, les médias et la presse régionale quotidienne en particulier est un média très puissant. Il faut que les annonceurs prennent conscience de ça et utilisent nos médias. Il y a des incitations à l'achat qui sont très fortes lorsqu'une entreprise fait de la publicité dans un journal.”
Il cite une étude montrant que la publicité imprimée dans la presse locale figure parmi les moyens les plus performants pour toucher un public attentif.
“Un euro investi en pub dans [la presse locale] rapporte 5.7 euros de revenus.”, précise Leclerc. “ La presse quotidienne régionale est le deuxième média en termes d'audience, juste derrière le cinéma. Au cinéma, on sait pourquoi, puisque on est coincé dans une salle, donc un message publicitaire, on n'y échappe pas. Mais quand on lit un journal papier, c'est un peu pareil: on a son attention qui est focalisée sur le papier. C’est un média très performant.”
(Les données du Digital News Report 2025 ajoutent un autre élément à prendre en compte : les marques de presse locales et régionales affichent le taux de confiance le plus élevé en France — 61 %, contre 29 % pour les médias dans leur ensemble, ndlr.)
Pour Leclerc, ces chiffres devraient inciter les rédactions à consacrer plus d’efforts à convaincre les entreprises de relocaliser leurs budgets publicitaires.
“Notre message depuis quelque temps maintenant auprès des annonceurs, c'est [de les encourager] à relocaliser leurs investissements publicitaires vers des acteurs locaux comme Le Télégramme. On est puissants, on est efficaces et en plus, en faisant ça, ça alimente l'économie locale. Et l'économie locale, c'est là où sont vos clients.”
Les journalistes ont également exploré des formats d’interviews plus créatifs pour les campagnes locales.
Lors d’un atelier sur la couverture innovante des municipales, le studio de design d'anticipation Design Friction a travaillé avec des journalistes locaux pour expérimenter ces formats non conventionnels.
Plutôt que de questionner les candidats sur leurs projets actuels ou leurs budgets, ils ont été encouragés à poser des questions autour des scénarios futurs, par exemple : “Si la ville disposait soudainement d’un excédent de 30 millions d’euros, comment l’utiliseriez-vous ? ” ou encore: “Nous sommes en 2040, et la ville fait face à sa cinquième canicule consécutive avec 50 °C. Quel est votre plan pour limiter les effets?”
Selon les intervenants, ce type de questions pousse les personnalités politiques à sortir de leurs discours habituels et à engager des discussions plus constructives et à long terme dans les médias.
Lors d’une session sur les usages concrets de l’IA dans la presse locale, le quotidien italien L’Eco di Bergamo a montré comment il utilise ces outils pour donner une nouvelle vie à ses archives.
Une petite équipe a passé quatre mois à entraîner des algorithmes pour reconnaître et classer plus de 70 ans d’avis de décès, créant une base de données consultable de 320 000 notices. Les lecteurs peuvent ainsi explorer leur histoire locale et familiale à travers les nécrologies.
“C’est comme si un coffre aux trésors de souvenirs de notre province s’était ouvert”, explique la journaliste Daniela Taiocchi, à l’origine du projet.
La base comporte également un aspect interactif : les lecteurs peuvent y ajouter leurs souvenirs ou commentaires, un ajout très apprécié selon Taiocchi.
Dans la rédaction, Taiocchi l’utilise régulièrement pour sourcer de nouvelles histoires, en reliant événements passés et actualité.
Selon elle, ce projet illustre la valeur sociale d’un journal local:
“L’Eco di Bergamo, comme d’autres journaux locaux, n’a jamais été qu’une simple feuille d’information. C’est une archive de la communauté. Les lecteurs y trouvent non seulement des informations, mais aussi des traces de leur vie, de leur famille, de leurs deuils.”
Ce projet a une importance particulière à Bergame, l’une des premières villes européennes touchées par la pandémie de COVID-19.
“Pendant les jours les plus sombres, les avis de décès sont passés de deux pages et demie à treize pages par jour”, raconte Taiocchi. Dans ce contexte, le projet va bien au-delà de la numérisation et devient un véritable gardien de la mémoire des habitants.
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