Regards sur l'avenir du journalisme: Retours sur Médias en Seine 2023
6000 membres de la presse et du public se sont réunis mercredi dernier à la Maison de la Radio à Paris pour la 6e édition du festival Médias en Seine. La thématique de cette année, explorée par 200 intervenants lors de 70 sessions, a mis l'accent sur les opportunités de ‘Réinventer l'information, le divertissement et la régulation’.
Les grands sujets à l'ordre du jour étaient le journalisme climatique et les implications de l'intelligence artificielle sur l'actualité, mais de nombreux sujets de niche ont également été abordés, tels que le journalisme sportif (dans ce panel sur les stratégies de couverture des JO de 2024), les innovations dans les newsletters (ici) et les stratégies LinkedIn pour les rédactions (ici). Voici quelques moments forts du festival:
1. Les archives sont un trésor pour les rédactions
L'Institut National de l'Audiovisuel (INA), dépositaire des archives audiovisuelles de la radio et de la télévision françaises, est devenu un succès viral dans le monde francophone, avec 1,2 million d'abonnés sur Instagram et ses vidéos YouTube atteignant régulièrement plus d'un million de vues.
Agnès Chauveau, directrice générale adjointe de l'INA, a expliqué comment l'organisation a tiré parti de ses 27 millions d'heures d'archives audiovisuelles pour devenir un acteur pertinent dans le paysage médiatique français :
"On s’est dit qu’au fond, toute cette mémoire audiovisuelle résonne avec notre actualité. C’est à partir de ce moment-là qu'on s’est dit qu’on va utiliser toutes les plateformes à notre disposition – Instagram, Youtube, Snapchat, Twitch – pour diffuser ce patrimoine audiovisuel et mieux éclairer l'actualité et le présent."
Elle a expliqué comment son équipe sélectionne parmi leur collection les archives qui peuvent évoquer les actualités (telles que ces interviews portant sur la vie en tant que travailleur étranger en France en 1964, ou encore ce clip de la même année abordant l'opinion des hommes sur « l’utilité » des femmes pour la société).
"On peut apporter quelque chose au débat public sur les questions d'actualité que personne d'autre ne peut faire… Et [en tant qu'institution publique], une partie de notre mission est de montrer d'où on vient et comment les choses étaient à l'époque - sans avoir un regard nostalgique et sans porter de jugement".
- Regardez la session complète (en français) ici.
2. Les regards se tournent vers les actualités pour les moins de 25 ans.
Cathinka Rondan, directrice de la chaîne d’information publique norvégienne (NRK), a participé à un panel avec notre chercheur Nic Newman sur la confiance du public dans les actualités, et pourquoi les médias scandinaves affichent des chiffres de confiance plus élevés que les médias d'autres pays – quelque chose qui se reflète régulièrement dans nos propres recherches. Il se peut que le secret de la NRK réside dans son accent mis sur l'importance de s'exprimer clairement auprès des jeunes - un thème abordé dans plusieurs sessions tout au long de la journée.
"À la NRK, on travaille depuis des années pour changer notre [ton] et présenter les actualités d'une manière qu'un jeune de 19 ans comprendra", a déclaré Rondan. "Et en fait, on a constaté qu’on augmentait [notre audience] dans toutes les autres tranches d'âge, car notre ton est devenu plus accessible."
"En général, les médias utilisent un langage qui peut être un peu difficile à comprendre, et parfois je pense que les médias ont peur de perdre la confiance du public s'ils utilisent un langage [plus simple]", a-t-elle ajouté. « Mais ce que l’on constate, c'est qu’on a aussi augmenté la confiance, car on augmente également l'utilisation - or l'utilisation et la confiance sont liées".
- Regardez la session complète (en anglais) ici.
Le festival a également accueilli Hugo Travers, la star française de YouTube âgée de 26 ans, connue pour ses vidéos explicatives sur les actualités (et 2,6 millions d'abonnés). Travers a parlé de la manière dont il a réussi à intéresser toute une génération de Français de moins de 24 ans aux actualités en utilisant des formats innovants sur les médias sociaux - et comment atteindre les jeunes ne signifie pas nécessairement creuser des sujets ‘jeunes':
"Le contenu qu'on fait, certes, est suivi beaucoup par des jeunes parce qu'on est sur les réseaux sociaux, mais pour autant, c'est pas un contenu pour ‘les jeunes,’ a expliqué Travers. On aborde des sujets qui sont assez similaires à ce que d'autres médias pourraient faire. Donc, si quelqu'un qui a 60 ans tombe sur notre chaîne Youtube ou sa petite fille lui fait découvrir [la chaîne], a priori, il ne va pas se dire, 'Oh là, c'est pas pour moi'".
- Regardez la session complète (en français) ici.
3. Les nouveaux formats ne sont pas réservés au numérique.
Eric Fottorino, ancien rédacteur en chef du Monde, a parlé du format atypique du journal Le 1, qu'il a cofondé en 2014.
Le journal hebdomadaire couvre un sujet par édition (le numéro de la semaine dernière, par exemple, portait sur la montée de l'extrême droite en France) et est imprimé sur une seule grande feuille de papier qui se plie trois fois avant d'atteindre un format compact A4.
Fottorino a expliqué comment lui et ses co-fondateurs ont réfléchi de manière très délibérée à la façon dont le format physique d'un produit imprimé influence le contenu.
L'idée est que le sujet de chaque numéro est traité de manière de plus en plus approfondie à mesure que vous dépliez le papier, a-t-il dit. La couche extérieure offre une approche plus littéraire du sujet ; la deuxième couche que vous dépliez est destinée à l'analyse et aux avis d'experts; et la section entièrement dépliée finale est là où la rationalité et l'opinion se rencontrent pour illustrer le thème plus large.
Aujourd'hui, il y a une nouvelle valeur ajoutée à lire un journal imprimé, a expliqué Fottorino. Non pas par nostalgie, mais parce qu'il offre aux lecteurs la possibilité de s'informer sans toutes les distractions que les actualités en ligne apportent.
4. Il y a des progrès (et des progrès à faire) en matière de politiques de recrutement pour la diversité dans les médias.
Louis Dreyfus, président du directoire du Groupe Le Monde, a livré une discussion perspicace et honnête sur les efforts déployés par Le Monde pour diversifier sa rédaction et la rendre plus représentative des sociétés dont elle rend compte.
Dreyfus a parlé des efforts du Monde pour recruter davantage de journalistes stagiaires en dehors des écoles de journalisme traditionnelles, et a parlé de manière franche sur les succès et les limites de certaines des initiatives que l'équipe a essayées. Par exemple, a-t-il dit, on a commencé à offrir aux candidats de stages la possibilité de soumettre une candidature vidéo depuis leur téléphone plutôt qu'une lettre de motivation écrite (ce qui favorise souvent les étudiants des grandes écoles) – mais plus de 80% des candidats venaient toujours des écoles de journalisme traditionnelles. Il reconnaît qu’il y a encore du chemin à faire.
? Comment les médias traitent-ils la question des communautés ?
— Médias en Seine (@MediasEnSeine) November 22, 2023
On en parle avec @ldreyfus, président du directoire du Groupe @lemondefr.#MediasEnSeine pic.twitter.com/r58ln0IjAC
5. L'éducation aux médias n'est pas seulement pour les jeunes.
Lors d'une session consacrée à l'éducation aux médias pour le public, Manon Berriche, assistante de recherche pour le projet européen De Facto et doctorante au Médialab de Sciences Po, a cité des études intéressantes indiquant que contrairement à une idée répandue, ce ne sont pas les jeunes qui sont les principaux diffuseurs de fausses informations sur les médias sociaux (en réalité, ils partagent relativement peu d'actualités en ligne). Il semble que ce soient plutôt les personnes de plus de 65 ans qui sont les plus susceptibles de s'engager avec de fausses informations.
En effet, l'éducation aux médias n'est pas réservée aux jeunes, a déclaré Séverine Erhel, chercheuse spécialisée dans les effets cognitifs des médias sociaux à l'Université de Rennes 2. Les adultes ont également la responsabilité d'apprendre à identifier des sources fiables, a-t-elle souligné.
Les adultes cherchant à réviser ces compétences pourraient se tourner vers de nombreuses ressources partagées lors de la session par Serge Barbet, directeur du CLEMI, le programme d'éducation aux médias au sein de L'Education nationale française. Celles-ci incluent une série de clips expliquant les bases de la production d'actualités au grand public, ainsi que des jeux interactifs pour les jeunes sur les méthodes de reportage d'investigation.